Osez les petits diamètres en spectographie !
Cette page décrit le mode opératoire et les performances atteintes lorsqu'on associe un spectrographe LISA ou LHIRES III à un télescope de petit diamètre - ici des lunettes de 85 à 106 mm de diamètre seulement. Les lunettes astronomiques en question sont optimisées pour la photographie astronomique grand-champ. Il s'agit des modèles FSQ-85ED et FSQ-106 de la marque Takahashi, des instruments réputés pour leur très haute qualité optique. Dans les deux cas, ce sont de lunettes apochromatiques, c'est-à-dire qu'elles présentent une aberration chromatique faible, une propriété importante en spectrographie. Certes, la surface collectrice photonique est ici bien plus réduite que celle des télescopes habituellement utilisés en spectrographie, dans la gamme des C8 à C14 pour fixer les idées (soit des diamètres allant ce 200 à 355 mm). La sanction est immédiate : la magnitude limite atteinte pour un temps d'intégration donné est dégradé avec nos petits instruments. On donne une évaluation de cette perte en détectabilité à la fin de la page. Cependant, l'usage d'un instrument de petit diamètre n'a pas que des désavantages. En particulier, nous sommes moins sensibles à la turbulence et il est donc possible d'utiliser une fente significativement plus étroite, et donc gagner en résolution spectrale. Sur le papier, le gain en résolution est inversement proportionnel au diamètre du télescope. Par exemple, en passant d'un diamètre de 280 mm à un diamètre de 85 mm, la résolution spectrale doit croitre d'un facteur 3 ! En pratique ce n'est pas le cas en raison des aberrations optiques propres au spectrographe et du phénomène de diffraction. En revanche, si on décide de travailler à iso résolution spectrale avec un petit diamètre de télescope, et donc sans modifier la fente, la finesse des images au foyer permet de collecter un flux supérieur (la fente bloque moins les rayons de l'étoile pour un seeing donné). Donc la perte en magnitude limite liée au diamètre du télescope est en partie compensée par le gain en transmission de la fente. On peut encore souligner qu'il est en règle générale plus facile d'utiliser un petit télescope : grâce au grand champ de vue les objets sont plus faciles à pointer. L'autoguidage est aussi plus simple. De plus, la monture est plus compacte, ce qui est un atout en termes de mobilité, un avantage tout à fait décisif pour certains observateurs. Enfin, dans le cas particulier des lunettes astronomiques, la mise en route de l'instrument est souvent plus rapide et le fonctionnement plus sur par rapport à celui d'un télescope de gros diamètre (insensibilité au déréglages en particulier). J'ai personnellement toujours apprécié l'usage des lunettes pour ces dernières raisons. Et puis... une lunette astronomique, est tout simplement plus belle qu'un télescope à mon gout personnel, ce qui ajoute de l'agrément au plaisir d'usage ! Les photographies ci-après illustrent le dispositif expérimental avec une lunette FSQ-106. On utilise ici un spectrographe LISA (société Shelyak) monté directement au foyer via le coulant 31,75 mm :
Adaptation
du spectrographe LISA sur une lunette FSQ-106. La caméra d'acquisition
principale est un modèle ATIK314L+ (boitier rouge). Le diamètre de l'objectif réfracteur de la lunette FSQ-106 (un quadruplet en fait) est de 106 mm et le rapport F/D de 5, soit la limite juste acceptée par LISA (il est possible de travailler avec un télescope plus ouvert encore, mais c'est alors LISA qui fixe l'ouverture effective du système à F/5 – et dans ce cas, le télescope n’est pas utilisé optimalement et du flux optique est perdu). La lunette FSQ-106 est l'un des premiers modèles de cette série, constituée de verres fluorine. La fluorine est un produit cher et difficile à utiliser (il est hygroscopique) qui a été remplacé dans la version actuelle de la FSQ-106 par du verre ED (FSQ-106ED). Elle offre le même degré de performance que le modèle initial à base de fluorine. Voici un test de cette configuration en visant la nébuleuse d''Orion. La photographie ci-après est l'image caractéristique de la nébuleuse M42 délivrée par la caméra de guidage de LISA (temps de pose de 5 secondes). Le trait vertical sombre est l'image de la fente d'entrée du spectrographe, d'une largeur de 23 microns :
Ci-après, image de la nébuleuse Messier 1 prise avec la caméra de guidage ATIK Titan qui équipe le spectrographe LISA. Le temps de pose est de 30 secondes. La fente de 23 microns coupe l'image de la nébuleuse en deux. Cette fente est bien visible car le ciel est très lumineux (pollution lumineuse + forte Lune) :
Ci-après l'image 2D d'un spectre d'étoile chaude issus de la lunette FSQ-106 (F/D = 5) et du spectrographe LISA (fente de 23 microns) :
Le premier constat est que le spectre est très fin. Le chromatisme est très bien maitrisé du rouge jusqu'au bleu, jusqu'à la longueur d'onde de 4320 A environ. La lunette apochromatique fait très bien le travail. Pour une longueur d'onde plus courte que cette limite, en direction de l'ultraviolet, le spectre s'évase et la résolution spectrale ce dégrade. Il est difficile de savoir qui de la lunette ou du spectrographe est le responsable majoritairement. Cette responsabilité est probablement partagée, mais il faut souligner que le spectrographe LISA délivre sur le papier des spectres corrects que pour des longueurs supérieures à 4000 A dès lors que le faisceau d'entrée est ouvert à F/5 (la limite acceptable pour ce spectrographe). Donc le résultat est cohérent avec l'attendu. On s'intéresse à présent à la voie de guidage/pointage. La courte focale de la lunette offre un champ généreux et des étoiles très fines. L'exemple caractéristique ci-après montre comment est visée puis guidée une étoile :
Malgré le petit diamètre du télescope, il est possible de réaliser un travail scientifique, par exemple participer au programme de surveillance des étoiles Be (BeSS). Ici l'exemple de la faible étoile Be HD248390 (V = 10) :
L'usage du spectrographe LISA a aussi testé sur une lunette moins couteuse que la FSQ-106, mais aussi de plus petit diamètre, à savoir la FSQ-85ED :
Le diamètre de la lunette FSQ-85ED est de 85 mm, avec un objectif ouvert à F/5,3 (soit une distance focale de 450 mm). Le spectre est encore plus fin suivant l'axe spatial (perpendiculaire à la dispersion), pas bien plus large que 1 pixels du détecteur de la caméra Atik314L+ (1 pixel = 6,45 microns). Le risque d'aliasing est sérieux. C'est phénomène de battement de l'image du spectre enregistrée en raison d'un échantillonnage insuffisant de l'information. Cela peut conduire à l'apparition de structure périodique artificielle dans l'allure du profil spectral. Dans l'exemple suivant on montre deux extraits d'images brutes du spectre de l'étoile HD43378. En haut, le spectre acquis en faisant bien attention à ce que la trace du spectre soit parallèle aux lignes. L'écart angulaire (défaut de tilt ou d'inclinaison de la trace), est inférieur à 0,01°. En bas, le spectre de cette même étoile, mais en ayant volontairement pivoté d'un petit angle la caméra autour de son axe optique. Le défaut d'angle de tilt est maintenant de 0,79°.
Lorsque le tilt est significatif et que le spectre est bien fin (c'est le cas ici, la largeur est proche de 1 pixel), la trace de ce dernier ce projète sur des structures intrapixels variables avec la longueur d'onde. Le résultat ce traduit par des erreurs photométriques comme l'illutre le graphique ci-après :
L'enseignement à tirer est qu'il faut toujours veiller à ce que la trace du spectre soit bien horizontale (par rapport à la grille de pixels du détecteur) au moment de l'acquisition. C'est particulièrement vrai avec une configuration télescopique qui produit un spectre spatialement fin, sous peine d'introduire des erreurs significative d'évaluation du continuum. C'est le cas ici avec les lunettes FSQ-85 et FSQ-106 qui génèrent des spectres très fins sur un large domaine spectral. Un moyen pour contrer cette difficulté est de décaler légèrement l'image de l’étoile suivant l'axe long de la fente entre deux acquisitions élémentaires du spectre. L'erreur radiométrique est alors réduite par moyenne au moment de l'addition de ces poses élémentaires. J'ai choisi une autre approche (pas incompatible), qui permet de faire deux pierres deux coups en gagnant aussi sur la résolution spectrale. L'idée est d'introduction une lentille de Barlow 2X dans le chemin optique de la lunette FSQ-85ED. Le but est double : - augmenter la largeur du spectre du fait que la focale passe de 450 mm à 900 mm environ et donc réduire les risques l'erreur radiométrique illustrés ci-avant ; - améliorer la qualité image dans l'ultraviolet en profitant du fait que le spectrographe (et la lunette) produit des images moins aberrantes à F/10 qu'à F/5. La photographie suivante expose le montage expérimental. La lentille de Barlow (doublet négatif achromatique) est un modèle Astrophysics de 2 pouces : La distance focale de la lentille
de Barlow Astrophysics utilisée a été mesurée de f = -132mm. Elle est positionné
à environ 140 mm Une fois la lentille de Barlow mise en place, le faisceau est ouvert à f/10,5 environ à l'entrée du spectrographe. Dans ces conditions, voici l'allure du spectre 2D observé :
Les images ci-après permetent d'apprécier le changement de champ lorsqu'on vise la nébuleuse d'Orion avant et après l'utilisation d'une lentille de Barlow :
Après la mise en place de la lentille de Barlow la distance focale de la lunette demeure suffisamment courte pour continuer à utiliser une fente de 23 microns de large sans une perte très notable de rendement (la transmission de fente demeure importante, l'angle correspondant sur le ciel est de 4,8 seconde d'arc). Le graphe qui suit est très instructif. Il permet de juger comment évolue la résolution spectrale en fonction de la longueur d'onde pour une configuration à F/5,3 et une configuration à F/10,5 et donc, le gain de l'ajout de la lentille de Barlow :
Dans les conditions de réglage du spectrographe LISA utilisé, la résolution spectrale chute brutalement pour des longueurs d'onde plus courtes que 4250 A avec un faisceau d'entrée ouvert à F/5,3. Pour des longueurs d'onde plus grande, la résolution spectrale est voisine de R=1200, ce qui est voisin de la performance maximale du spectrographe LISA. Avec un faisceau ouvert à f/10,5 (courbe rouge), l'excellence de la résolution spectrale est prolongée jusqu'à une longueur d'onde de 3870 A environ, c'est-à-dire dans l'ultraviolet, une zone du spectre astrophysiquement intéressente (cette partie du spectre contient en particulier les fameuses raies H&K du calcium ionisé). On note dans ce graphique comment la série de Balmer de l'hydrogène est très bien défini jusque dans le proche ultraviolet alors que ces même raies sont gommées lorsqu'on travaille à f/5 (courbe bleu). En revanche, les spectres sont très similaires pour les longueurs d'onde supérieures à 4200 A environ. De cette analyse on peut conclure que l'usage d'un faisceau ouvert à f/10 (environ) à l'entrée du spectrographe LISA est recommandé si on veut détailler la partie ultraviolette du spectre, ce qui impose ici l'usage d’une lentille de Barlow. La qualité du spectre est alors "superlative" dans l'ensemble du domaine spectral couvert avec une caméra Atik314L+. Si on se limite à l'étude du spectre à partir du bleu moyen ou si on désire acquérir le spectre d’objets faibles à surface étendue, il est en revanche recommandé de travailler au rapport d'ouverture naturel des lunettes FSQ-XXX (soit environ f/5). Il ne faut pas hésiter à modifier le point de fonctionnement de son instrument en fonction de l'objectif visé. La séquence de profils spectraux LISA qui suit est une comparaison entre les résultats LISA - en rouge, et les spectres issus de la librairie MILES - en bleu (la résolution spectrales des spectres MILES est ramenée à celle du spectrographe LISA). La lunette est le modèle FSQ-85ED travaillant à f/10 grâce au un complément optique "extender" décrit ci-avant. L'allure des profils est remarquablement identique entre les deux familles de spectres. Ceci valide la configuration optique testée ici et démontre une très bonne consistance astrophysique des produits délivrés, alors même que la taille l'instrument utilisé est relativement modeste. Ci-après, le résultat d'une observation de l'étoile Be Kappa Dra avec la lunette FSQ-85ED utilisée à f/10,5 (fente de 23 microns). Le spectre révèle de nombreux détails jusque dans le bleu. Notez que le continuum a été normalisé à l'unité pour toutes les longueurs d'onde pour disposer de l'intensité relative des raies et mieux détailler celles-ci : Détail du spectre de Kappa Dra, dans la partie bleu-verte du spectre : Une étoile Be nettement plus faible que Kappa Dra : l'objet FF Cam, de magnitude magnitude V=7,9 (une heure de pose environ avec la lunette FSQ-85ED à F/10.5) : Pour finir, le beau spectre d'une étoile Be complexe (système multiple), l'étoile Beta de la Lyre, toujours obtenu avec un instrument de 85 mm de diamètre (le continuum est rectifié à l'unité) : Le tableau ci-après indique la magnitude limite attendue avec le spectrographe LISA pour une étoile AOV (rapport signal sur bruit de 10 à l'élément de résolution) lorsqu'il est associé à un télescope Celestron 11 (D = 280 mm) et à des lunettes de 85 et 106 mm. Dans tous les cas, on considère que le seeing est de 4 secondes d'arc, que la fente fait 23 microns de large, que la caméra est une Atik313L+ utilisée en binning 1x1, et que le temps de pose est d'une heure (addition de 6 poses de 600 secondes) :
A rapport d'ouverture identique, le passage d'un diamètre de 280 mm à 85 mm fait chuter la détectivité de 1,7 magnitude. C'est très significatif bien sûr. L'observation du spectre de lointaines supernovae est à priori interdite à la lunette (voir ci-après cependant...), mais le nombre d'objets faibles observables est encore notable. Bien au-delà de la simple découverte ou de l'initiation, l'usage d'un spectrographe tel que LISA sur une lunette courte moderne permet de conduire un passionnant travail de recherche en astronomie ! Comparaison du spectre de la supernova SN2012A pris à un jour d'intervalle avec le même spectrographe, mais d'une part avec un Celestron 11 F/6 (en bleu) et une lunette FSQ-85ED F/5 (en rouge). La magnitude supernova est évaluée à V = 13.8 (source AAVSO) :
On note dans l'exemple précédent que la l'intensité des raies nébulaires et bien plus intense dans le spectre pris avec la lunette de 85 mm. L'explication est que la courte focale de la lunette ne permet pas de discréminer angulairement aussi facilement la supernova et une région HII voisine.
Un autre exemple de comparaison entre un spectre acquis avec un Celestron 11 et une lunette FSQ-85ED - ici le quasar 3C273 de magnitude 12,5 :
Les photographies ci-après montrent comment utiliser le spectrographe LHIRES III avec l'astrographe FSQ-85ED. On retrouve approximativement le même ratio de magnitude limite qu'avec le spectrographe LISA pour les télescopes données en exemple. Le spectrographe n'accepte qu'un faisceau d'entrée ouvert à F/10 d'où ici l'usage obligatoire d'une lentille de Barlow pour faire passer la F/D de la lunette FSQ-85ED de 5,3 à 10,5 environ (on utilise une lentille de Barlow compacte de 1 pouce de diamètre et de -78 mm de focale, positionnée à l'intérieur du coulant de 2 pouces de l'interface LHIRES III).
Exemple du spectre de l'étoile Capella observée au crépuscule obtenu avec l'installation décrite ci-avant :
Le petit diamètre de la lunette facilite l'étalonnage spectral en utilsant une lampe spectrale qui éclaire l'entrée de l'objectif (c'est une configuration optimale car la lumière de la source d'étalonnage suit le même chemin que celui des étoiles) : Allure
comparée des spectres du néon obtenus avec la lampe interne du spectre LHIRES
III (en bleu) et une lampe néon FILLY (en rouge) Avec un spectrographe LHIRES III équipé d'un réseau de 600 traits/mm et une fente de 19 microns il a été mesuré un pouvoir de résolution dans le rouge de R = 3900 en utilisant la lampe néon interne et un pouvoir de résolution de R = 4300 en utilisant une lampe néon externe. L'écart peut s'expliquer par la légère différence d'ouverture des faisceaux pour ces deux sources lorsque la lumière entre dans le spectrographe. Le pouvoir de résolution de 4300 a bien été mesuré sur les étoiles (le pouvoir de résolution grimpe à R=4300 en utilisant une fente de 15 microns de large). Ci-après le spectre 2D de l'étoile Be V695 Mon, de magnitude 5,2 (spectrographe LHIRES III 600 traits/mm sur lunette FSQ-85 à utilisée à F/D = 10) : Le profil spectral de V695 Mon (le pouvoir de résolution est évalué à R = 4300) : Le spectre 2D de l'étoile HD61224 de magnitude 6,5 et de type Be (somme de 7 poses de 300 secondes) obtenu avec une lunette de 85 mm de diamètre et le spectrographe LHIRES III : Le profil spectral de HD61224 extrait avec l'aide du logiciel ISIS : Exemple d'observation d'étoile faible : SU Aur, de type T Tauri et de magnitude V = 9,5, qui affiche des variations rapides de la raies Halpha. Le spectre est saisis ici avec un temp de pose cumulé de 10 x 10 minutes sur la lunette de 85 mm et avec un spectrographe Lhires III (réseau de 600 traits/mm) : |