Evaluation d'une fente photométrique pour spectrographe Application au spectrographe Alpy 600 En spectrographie stellaire, la valeur effective du flux transmis par la fente d'entrée est dépendante de plusieurs facteurs. Le premier d'entre eux est le seeing, associé à la turbulence atmosphérique, qui se manifeste comme un élargissement de la taille du disque apparent des étoiles. Ce faisant, une partie du signal à la base disponible est coupée par les bords de la fente, et seule la lumière au cœur de l'image stellaire est transmise. Les erreurs de guidage durant la pose et une focalisation incorrecte conduisent au même résultat. Le rapport signal sur bruit est bien sur affecté. Dans des conditions peut favorables, jusqu'à la moitié du flux initial peut être perdu de cette manière. En regard du seeing moyen de votre site d'observation ou de la qualité de la monture du télescope, il est important de sélectionner une largeur de fente pour que le rendement de celle-ci ne descende pas en dessous d'un seuil de 50%, quitte à dégrader la résolution spectrale en élargissant la fente. La qualité photométrique des spectres est elle aussi détériorée. Le signal moyen enregistré peut fluctuer de plusieurs pourcent d'une acquisition à la suivante. Cette erreur de mesure limite l'usage des données acquises pour des études photométriques de haute précision. En particulier, la mesure de la transmission atmosphérique absolue pour calculer des magnitudes hors atmosphère est rendue très imprécise si la fente n'a pas la largeur suffisante. Une méthode pour trouver l'extinction atmosphérique est présentée ici : https://buil.astrosurf.com/atmosphere/transmission.htm L'application pour le calcul de la réponse instrumentale avec le logiciel ISIS est exposée dans cette page : https://buil.astrosurf.com/isis/guide_response/method.htm Idéalement, la fente devrait être deux fois plus large que le disque de seeing pour prétendre atteindre une précision de mesure acceptable. Avec un spectrographe du type Alpy 600, si on souhaite conserver la résolution spectrale de base de R = 600 la condition (2 x seeing) n'est atteinte qu'avec un télescope de taille égale ou inférieure à 200 mm. Avec un spectrographe type LISA, bénéficiant d'un dégrossissement optique interne, la condition sera respectée jusqu'à un diamètre de 300 mm environ (pour un pouvoir de résolution de R=900). La fente d’entrée est responsable d'un autre type de problème lié à la dispersion atmosphérique. Les conséquences sont exposées sur cette page : https://buil.astrosurf.com/dispersion/atmo.htm C'est alors non seulement la connaissance du niveau moyen du signal qui est en cause, mais aussi la forme globale du continuum, ce qui est encore plus ennuyeux : la réponse instrumentale évaluée sur des profils stellaires devient aléatoire, la mesure de certains paramètres astrophysiques, comme la température, aussi. Pour résoudre à ces problèmes, au moins en grande partie, la société Shelyak a réalisé un jeu de fentes dites "photométriques", dont l'aspect est présenté dans la figure suivante. L'image et les côtes de la
fente photométrique Shelyak conçue pour le spectrographe Alpy 600. Le même
modèle existe dans le format Les modes d'utilisation sont simples. Pour réaliser un spectre avec la résolution spectrale maximale, le mode 1 (ou mode spectrographique) consiste à positionner l’étoile dans la partie étroite de la fente, quitte à dégrader la résolution photométrique. En revanche pour être sûr de collecter tout le flux stellaire dans le spectre, et ainsi bénéficier d'une qualité photométrique maximale, on utilise la mode 2 (ou mode photométrique) qui consiste à placer l'image stellaire vers le centre de la partie large de la fente. Si on souhaite par exemple évaluer la réponse instrumentale, on utilise la mode 2, quitte ensuite basculer dans le mode 1 pour réaliser des spectres bien résolus spectralement. C'est au moment du traitement que le continuum des spectres acquis en mode 1 sera éventuellement retouché en utilisant le profil de référence du spectre de l'étoile trouvée dans le mode 2. Le mode 2 s'apparente assez fortement à un mode "sans fente" ("slitless" en anglais). Le positionnent de l'étoile est en particulier tolérant, ce qui facilitera sûrement la vie des débutants ou de toute personne qui ne disposent pas d'un télescope fixé à une monture très rigide. La contrepartie est bien sûr que la résolution spectrale risque d'être dégradée et changeante. Cependant, le mode 2 offert par la fente photométrique Shelyak est bien bien puissant qu'un mode slitless pur : - la fente est élargie, mais elle est présente malgré tout bien là, ce qui fait baisser significativement le niveau parasite du fond de ciel. - il est parfaitement possible de guider dans ce mode 2, que l'on se serve de l'étoile cible (on dispose du retour de 4% de son flux dans le système de guidage) ou d'une étoile du champ (100% du flux disponible pour le guidage). La figure suivante montre une situation concrète d’usage de la fente photométrique lors de l'observation de la brillante étoile gamma Casssiopée :
Observation de l'étoile gamma Cas, en mode 1 à gauche (mode spectrographique), en mode 2 à droite (mode photométrique). C'est la fente 18/180 qui est ici utilisée. Pour réaliser ces images, j'ai employé un télescope Newton (totalement achromatique) de 200 mm ouvert à f/4 (modèle CN212 Takahashi) : La configuration instrumentale utilisée pour ces tests. Le spectrographe Alpy 600 est ici au foyer Newton d'un télescope de diamètre modeste (D = 200 mm). La figure ci-après montre l'usage de la fente photométrique sur une cible d'un éclat plus faible que gamma Cas :
Images de l’étoile HD180163 dans la fente photométrique. On note la présence de l'image parasite (image fantôme), typique des fentes réfléchissante Shelyak. Elle provient de la réflexion vitreuse sur la face avant de la lame de verre qui constitue la fente. Son intensité vaut 4% de celle de l'image de l'étoile étudiée. Cette image fantôme n'est jamais gênante en pratique. On peut souligner que le choix technique fait pour la fente – un modèle sérigraphié sur verre - fait perdre environ 8% du signal stellaire par le jeu des réflexions sur chaque face de la lame, mais en contrepartie, le confort de guidage est considérable, ce qui compense. On notera sur ces images la belle finesse des images fournies par le télescope (c'est l'intérêt des petits télescopes en spectrographie !), ce qui justifie ici le choix d'une fente aussi fine que 18 microns. Un autre intérêt de la fente photométrique est de permettre la mesure précise du rendement de la fente en mode 1. Il suffit pour cela de faire le rapport du signal mesuré dans le spectre observé dans le mode 1 et dans le mode 2. J'utilise ici une fente de 18 microns au foyer d'un télescope de focale f = 848 mm. Projetée sur le ciel, cette fente représente un angle de 4,4 arcsec environ. Le seeing est évalué à 3 arcsec. Suivant les poses réalisées, le rendement observé fluctue entre 83% et 93% (l'écart vient pour beaucoup de la qualité du guidage d'une pose à l'autre). Cette distribution est centrée autour d'un rendement de 86%, ce qui est une très bonne performance (je rappelle que la fente ne fait que 18 microns de large pour ce test).
Le profil spectral de l'étoile gamma Cas observé en mode spectrographique et en mode photométrique. L'écart est surtout marqué dans l'ultraviolet. Les conditions sont ici favorables : seeing modeste, pas de vent, télescope de courte focale et achromatique (pas de réduccteur de focale). Dans des conditions moins idéales, un écart significativement plus important est attendu... Détail du profil spectral de gamma Cas autour de la raie Halpha. En mode spectrométrique (mode 1) le pouvoir de résolution est évalué à R=760 environ avec une fente de 18 microns, alors qu'il est de R=600 environ dans le mode photométrique (mode 2). La largeur équivalente (EW) mesurée de la raie Halpha est fort voisine dans les deux situations : EW=-36,4 A en mode 1 et EW=-35,9 A en mode 2. L'aspect
du spectre 2D d'une lampe argon avec trois contrastes d'affichage différent
obtenu avec la fente photométrique Le spectre 2D de la nébuleuse Messier 57 dans la partie étroite de la fente. Pose de 3 x 300 secondes avec le télescope CN212 et le spectrographe Alpy 600 (fente de 18 microns). La pollution très sévère de mon observatoire urbain est bien mise en évidence à l'endroit où la fente est élargie. Dans les mêmes conditions d'observations, le spectre de la nébuleuse Messier 57 pris dans la partie large de la fente. Le spectre de la nébuleuse Messier 57 acquis en binning 3x3, avec une pose de 3 x 300 secondes (affiché en positif et en négatif). L'étoile centrale commence à être visible. On peut ici apprécier l'importance cruciale de travailler avec une fente étroite en ville. C'est aussi ce qui permet de pratiquer l'astronomie dans un milieu si hostile. Au passage, la dernière raie visible à l'extrême gauche de ce spectre est la raie [O II] à 3728 A, donc situé très loin dans l'ultraviolet, mais encore restituée avec une grande netteté (alors que le faisceau du télescope est ouvert à f/4).
Après traitement (le retrait du fond de ciel en particulier), les profils spectraux de Messier 57, en haut pour l'acquisition en binning 1x1, en bas pour l'acquisition en binning 3x3. Il est clair que le modes d'observations présentés ici ne sont justifiés que pour des applications avancées. L'usage d'une fente étroite simple va satisfaire la plupart des observateurs et suffisante pour nombre d'applications. Cela n'est pas remis en cause. Mais je veux finir en soulignant l'enjeu de ce qui est présenté ici. D'abord un mot à l'attention des débutants. Pouvoir évaluer simplement le rendement de transmission effectif de la fente étroite entrée est un plus notable. Etre confronté à la cruelle réalité de son instrument, objectivement, permet à coup sûr de progresser. Bon nombre d'observateurs ont un rendement de fente de 10% à 30% seulement, mais ne le savent pas. C'est la cause prépondérante d'écart affiché entre les résultats des uns et des autres. Pourtant, une fois que l'on est informé, il est bien plus aisé et motivant d'améliorer sa technique d'observation et de modifier en conséquence son équipement. La fente photométrique décrite dans cette page permet de faire le bon diagnostic. Toujours dans le cadre d'une prise en main, pouvoir réaliser ces premiers spectres avec une fente large permet de faire tomber un certain nombre de difficultés. Ici encore, cette fente photométrique peut être bien utile en phase d'apprentissage. Venons-en à l'apport scientifique. L'un des intérêts majeur d'une fente étroite en spectrographie est bien sur l'acquisition d'un spectre bien résolu spectralement parlant. Plus la fente est fine, meilleure est la résolution spectrale. Avec le concept de fente photométrique, on introduit en plus la possibilité de réaliser des mesures spectrographies et photométriques de précision (mais en concédant une perte de résolution spectrale car, puisque le fente est large, c'est à présent le seeing qui fixe la résolution spectrale et pas la fente). La gain photométrique est démontré dans les deux graphiques ci-après :
Chacun des graphes affiche 11 profils spectraux bruts de l'étoile HD198183 (B5V, V=4,87) réalisés en séquence avec un temps de pose 10 secondes. L'étoile esy située 28° au dessus de l'horizon. Le télescope est un Newton parfaitement achromatique (pas de réducteur de focale). A gauche, l'étoile est positionnée sur la fente de 18 microns. On remarque une fluctuation du signal enregistré (ici directement en pas codeurs) d'une acquisition à la suivante. C'est l'effet du seeing et des erreurs de guidage. A droite, l'étoile est positionnée dans la partie large de la fente (180 microns). Les conditions sont les mêmes et pourtant, les profils se superposent bien mieux à présent. Puisque l'effet de fente n'a plus ici d'impact, la qualité photométrique est bien meilleure. La scintillation atmosphérique peut expliquer le résidu de dispersion en intensité constaté (le temps de pose est court, ce qui accentue le phénomène). A gauche, l'erreur photométrique pour un échantillon spectral est de 0,032 magnitude à 1 sigma alors qu'à droite, elle est de seulement 0,010 magnitude à 1 sigma. Dans l'exemple, un échantillon spectral représente environ une bande passante de 1 A. Si on synthétise par agglomération de pixels un pseudo filtre spectral de 100 A de large, on peut espérer approcher une photométrie à 0,001 magnitude près. Le gain brut de la fente large est immédiatement intéressent en spectrophométrie différentielle, en sautant de l'étoile cible à une étoile de référence voisine. Au moment de cette observation, le seeing était relativement moyen (l'élévation au-dessus de l'horizon est de 28 degrés seulement). On mesure sur les graphes un rendement de fente (18 microns de large) de 73% environ (c'est le rapport des deux profils). Les mêmes données sont présentées dans les graphes suivants, mais en normalisant l'intensité à l'unité pour la longueur d'onde de 5500 A et après avoir divisé par le fat-field (un flat-fied pour la fente étroite et un flat-field pour la fente large) : On remarque dans le graphe de gauche (fente de 18 microns) que l'erreur photométrique peut prendre une forme sournoise. L'aspect moyen du continuum est modifié par la simple présence d'une fente étroite. La raison est a chercher dans le phénomène de dispersion atmosphérique, comme cela est montré ici. L'angle parallactique de 55° au moment de l'observation amplifie le phénomène. A droite, l'effet chromatique de l'atmosphère est considérablement réduit. La fluctuation dans le bleu peut encore s'expliquer par la scintillation, plus forte dans les courtes longueurs d'onde que dans les grandes. Le calcul de la réponse instrumentale est facilité et plus précis avec une fente large. Par ailleurs, on peut noter que la présence de la fente "colore" le profil (noter la différence d'allure entre le profil moyen à gauche et à droite). C'est une révélation de cette étude. L'explication est à chercher encore du côté de la dispersion atmosphérique. Ceci impacte la précision de calcul de la transmission atmosphérique si c'est le but recherché, comme le montre les deux graphes suivants :
En bleu, dans le graphe de gauche, la transmission atmosphérique au zénith est calculée un utilisant deux spectres de HD198183 pour des élévations de 28,4° et de 74,0°, et en exploitant la fente de 18 microns (voir la méthode ici). A droite, le même résultat, mais avec une fente large (180 microns). En rouge, la transmission théorique de l'atmosphère calculée avec ISIS pour un AOD de 0,08 (indice de poussières en suspension). L'accord est très bon (lorsque la fente ne vient pas biaiser le résultat). Pour des travaux spécifiques en photométrie, il faut bien prendre conscience que l'on dispose de plusieurs centaines de canaux spectraux simultanément. Ceci est à comparer aux 3 canaux spectraux offerts par la traditionnelle photométrie BVR... Cela devrait faire réfléchir bien des photométristes, lorsque pour certaines études une approche BVR ne révèle pas toute la subtilité des phénomènes (notamment en présence de raies en émission, comme pour l’étude du phénomène nova). On peut songer aussi à de l'observation de phénomènes rapides, où la mesure préalable de la transmission atmosphérique permet d'être très efficace (la cible n'est jamais perdue de vue - voir par exemple cette observation de RR Lyrae). Pour l'illustrer, voici une observation quasi continu de la monté en brillance de l'étoile RR Lyre (nuit du 7 au 8 juillet 2013), faite avec Alpy 600 équipé de la fente duale 18/180, monté sur un télescope Celestron 9.25 (directement au foyer F/11 pour éviter les problèmes de chromatisme d'un réducteur de focale) :
La courbe est approximativement à la bande B du système BVR. Elle est obtenue en moyennant le signal trouvé (en ADU) dans le spectre entre 4140 A et 4272 A, puis en convertisssant en magnitude relative. La courbe verte (équivalent bande V) est le signal moyen entre 5450 A et 5600 A. La courbe rouge (équivalent bande R) est le signal moyen entre 6640 A et 6800 A. La variation de le transmission atmophérique en fonction de la masse d'air est prise en compte (la transmission de l'atmosphère pour une masse d'air unitaire a par ailleurs été mesurée cette même nuit par un suivi de l'étoile HD198183). Le temps d'intégration et de 300 secondes durant les premiers 2/3 de l'obervation. Ensuite il est de 150 secondes, ce qui fixe la résolution temporaire). Attention, les magnitudes indiquées ne sont pas photométriques (non rattachées au système BVRI par exemple). Il s'agit en fait de magnitudes radiométriques, directement reliées au signal mesuré 'en ADU) dans les profils spectraux. Le bruit de mesure est de l'ordre de 1/100 de magnitude, voir mieux. Il faut être conscient que cette mesure est faite avec un spectrographe et non pas un photomètre et que les canaux BVR sont acquis strictement au même moment. Ces canaux sont très nombreux (plusieurs centaines) et potentiellement étroit. La spectrophométrie est en fait une généralisation de la photométrie large bande. Grace à la simultanéité de mesure des canaux, la mesure de la variation de couleur est succeptible d'être précise. Voici par exemple avec la différence B-V (attention, les valeurs B-V ne sont pas attachées ici a un système photométrique, par contre la variation de l'indice en fonction du temps est représentative) :
Une pseudo bande U est aussi acquise avec Alpy 600. Voici par exemple l'indice U-R :
L'usage d'une fente muti-largeur n'est pas un concept nouveau en spectrographie. Mais on peut souligner ici la parfaite intégration de cette option dans le système instrumental : la possibilité de pouvoir facilement pointer et autoguider, même avec une fente large, est une réelle avancée. Ce type de fente à « deux étages », ou duale, n’est clairement pas indispensable pour aborder la spectrographie (bien qu’on ait vu qu’elle peut faciliter la prise en main d’un spectrographe). Il faut une connaissance fine du fonctionnement des logiciels d'analyse spectrale pour tirer partie de cette nouvelle possibilité. A ce stade, il s’agit d’un accessoire optionnel utile à certaines observations où la qualité photométrique prend une place particulière. |
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