Cette page présente l'observation et l'analyse du spectre d'un type d'objet vraiment mythique pour qui fait de la spectrographie : les quasars.
Notre connaissance des quasars provient pour l’essentiel de l’observation de leur spectre, du reste, un dénominateur commun pour la plupart des objets du ciel. C’est en observant le spectre des galaxies puis, celui des quasars, qu’a été établie l’expansion de l’univers. Leur spectre montre en effet un déplacement systématique des raies spectrales vers le rouge, pour peu que l’objet soit distant. Ce décalage des raies trahit une vitesse d’éloignement de l’objet, et plus cette vitesse est grande, plus l’objet est éloigné. C’est la fameuse loi de Hubble. La vitesse de récession d’un galaxie (ou d’un quasar) est décrite par le paramètre z, calculé à partir de l’observation du spectre :
Le quasar le plus facilement observable est aussi l'un des premiers découvert : 3C273. Il se présente comme une étoile de magnitude 12.8 dans la constellation de la Vierge (AD=12h30m05s, DEC=+02°03.9m). Son z est de 0.158 (c’est un des quasars les plus proches, sachant qu’on observe aujourd’hui des objets avec des z supérieurs à 4).
L’observation a été réalisée avec un télescope de 190 mm à F/D=4 (obstruction centrale de 0.3), une caméra CCD Audine équipée d’un CCD KAF-0400 et un réseau Jeulin à transmission de 100 traits/mm. Le lieu d'observation se situe à Ramonville Saint-Agne (très proche banlieu Toulousaine).
L’image finale ci-après représente la somme de 32 images posées chacune 2 minutes. Le temps de pose cumulé est donc de 64 minutes.
Le spectre de 3C273 a un rapport signal sur bruit suffisant pour montrer immédiatement des raies en émission. En soit, ce n’est déjà pas si mal pour un spectrographe coûtant moins de 200 F (hors caméra CCD bien entendu) observant un objet situé à 3 millards d'années lumières !
Après les opérations classiques de prétraitement, le travail consiste à extraire le profil spectral en effectuant un binning optimisé sur une largeur adéquate dans le sens perpendiculaire à la dispersion.
Voici dans les grandes lignes comment on procède. Il faut tout d’abord observer une étoile dont on connaît bien le flux spectral. L’étoile Véga (Alpha Lyre) est idéale pour cela, car non seulement sont flux spectral est largement documenté, mais en plus l’éclairement qu’elle produit en dehors de l’atmosphère est parfaitement déterminé (Véga est un étalon photométrique fondamental). Le profil spectral suivant est celui de l’étoile Véga, observée la même nuit que le quasar 3C273.
Le spectre de la figure 6 est artificiel. Il est issue d’une banque de donnée qui recense le flux spectral relatif correspondant à quasiment tous les types spectraux d’étoiles (Pickles, PASP, 110 :863-878, 1998 July). C'est un outil extrèmement précieux pour les spectroscopistes.
En divisant le profil de la figure 5 avec le profil de la figure 6 on obtient la réponse spectrale de l’instrument (qui intégre la sensibilité spectrale du CCD, la transmission optique,…). Mais avant de réaliser effectivement cette opération il faut prendre en considération que le flux optique enregistré avec le télescope a traversé l'atmposphère terrestre. Or, celle-ci ce comporte comme un filtre spectral optique comme le montre les courbes de la figure 7. L'opération de calibration photométrique complète va consister à tenir compte de la transmission de l'atmosphére pour permettre de ramener le flux mesuré au foyer du télescope à ce qu'il serait en dehors de l'atmosphère.
Notez que les courbes de la figure 7 ne prennent pas en compte l'effet des gaz de l'atmosphère (en dehors de l'ozone, O3). La vapeur d'eau et l'oxygène atomique (O2) produisent des bandes absorption notables dans la partie infra-rouge du spectre. Cependant ces bandes sont locales et en conséquence, il est relativement facile de tenir compte de leur présence lors du traitement en effectuant des interpolations judicieuses.
Pour déterminer la transmission atmosphérique effective il faut tenir compte de la distance zénithale de l'objet observé. Si h est la valeur de la distance zénithale (distance angulaire de l'objet par rapport au zénith), on calcule la quantité 1/cos(h), appelée masse d'air. Puis, chaque point d'une des courbes de la figure 7 est élevée à la puissance de la masse d'air. Pour la présente réduction j'ai considéré que l'observateur se situé au niveau de la mer. Par exemple, à 5000A la transmission au zénith est de 0,69. L'étoile Véga a été observé à une distance zénitale de 50°, d'où h=1,55, et une transmission atmosphérique effective à cette longueur d'onde de 0,691,55=0,56.
Toutes ces manipulations mathématiqiues et de gestion de fichiers sont effectuées avec l’aide d’un package de fonctions spécialement écrites pour la réduction des données spectrales (il sera bientôt disponible). Le profil de la figure 9 montre la réponse instrumentale en ADU/erg, qui est semblable en gros, à la réponse spectrale du CCD KAF-0400 (attention, chaque KAF-0400 a sa réponse spectrale spécifique).
A titre de vérification, on peut retirer la réponse instrumentale au spectre brut de l’étoile Véga (division du dernier par le premier, plus correction de la transmission atmosphérique pour calculer le flux dans l'espace). Cela donne le profil de la figure 10, à comparer avec celui de la figure 6.
La même opération de calibration radiométrique est réalisée sur le spectre brut du quasar, ce qui donne le spectre final de la figure 11.
La raie en émission vers 5600A devient à présent bien visible. On précise sa position à 5670A environ. Ce n’était pas évident avant la calibration photométrique.
La raie en émission à 7550A est en fait la raie Ha,
qui est normalement à 6563A pour un objet au repos. On en déduit
la valeur de z :
L’identification de la raie en émission à 5670A est plus délicate. Dans un premier temps on peut penser qu’il s’agit de la raie Hb qui se situe normalement à 4861A. Mais le z calculé ne colle pas. Une analyse bibliographique sur les spectres de quasar (voir par exemple Francis & al. ApJ 373, 465, 1991), révèle au voisinage de la raie Hb la présence de deux raies de l’oxygène ionisé [OIII] particulièrement intenses dans le spectre des quasars (une raie à 4959A et surtout une raie à 5007A, bien connues dans les spectres de nébuleuses planétaires). Dans un spectre non résolu, le centre de gravité de ces raies se situe vers 4880A. Le z calculé avec cette valeur est :
Si on fait la moyenne de ces 2 mesures, on trouve pour 3C273, z = 0,156 +/- 0,015
Le statut de la raie observée à 4500A n’est pas clair. D'une part son existance n'est plus démontrée de manière absolue sur le spectre calibré. Ensuite en prenant z = 0,158, la longueur d’onde équivalente pour un objet au repos serait de 3886A, ce qui ne correspond pas à un élément classique dans le spectre des quasars. Simplement, on peut dire que cette raie se situer non loin de la limite de Balmer de la série de l’hydrogène (3647A). Peut-être que l’on observe là un groupement des raies de l’hydrogène d’ordre élevé. La raie Hg est peut être observée vers la longueur d'onde de 4920A (la longueur d'onde au repos est de 4340A) ? Une observation supplémentaire avec un temps de pose plus long et un ciel plus noir sera nécessaire pour le confirmer...
A noter encore que l’allure du continuum dans le spectre de la figure 11 est tout à fait conforme avec ce qu’il faut attendre d’un quasar. Mieux encore, la valeur absolue du flux mesuré colle très bien avec celui que l'on peut trouver dans la littérature pour 3C273. A titre d'exemple les figures 12 et 13 montrent le spectre de 3C273 observé avec de gros moyens professionnels.
Dans ces deux publications on contate que le continuum vers 6500A représente un éclairement de 1,5.10-14 erg/cms/s/A. La présente observation donne un résultat extrèmement similaire (voir figure 11). Dans la partie bleu du spectre, le continuum obtenu avec le télescope de 0,19 mètre de Ramonville suit de très près celui acquis avec le télescope de La Palma (mais c'est peut-être une coincidence). On note au passage que les écarts peuvent être sensibles entre les résultats professionnels (voir aussi).
Enseignement de l’histoire : avec un réseau coûtant moins de 200 F et un spectrographe réalisable en 5 minutes, il est possible en 1999 de mesurer l’expansion de l’univers lorsqu'on est amateur !
Au-delà de la satisfaction morale d’observer le décalage dans le rouge du plus brillant quasar du ciel, vous pourriez penser qu’il n’y a pas de salut. Détrompez-vous ! Il faut bien juger dans quelles conditions cette observation a été réalisée : pratiquement en pleine ville, avec un éclairage qui empêche de voir des étoiles plus faibles que la magnitude 2,5 à l’œil nu. Qui plus est, 3C273 n'était pas au zénith (à 45° au dessus de l'horizon environ), ce qui se paye très cher en ville en terme de brilllance du fond de ciel. Or, le niveau du fond de ciel a un impact considérable sur les performances d’un spectrographe sans fente. En effet, le signal de fond parasite s’ajoute directement à celui du spectre. Si le premier est très intense, il finira par brouiller le spectre du quasar dans le bruit de photon. Dans le cas présent, le niveau du fond de ciel après binning s’élève à 371200 ADU, soit un bruit de signal de RACINE(371200) = 610 ADU, ce qui est considérable. Le point le plus brillant de notre spectre de 3C273 arrive au niveau 8800 après binning. Le rapport signal sur bruit n’est donc que de 8800/610=14. Il passe à 7 environ au niveau de la raie Ha dans le spectre de 3C273.
Un bon ciel de campagne donnerait, pour un temps de pose identique et le même instrument, un fond de ciel aux alentours de 25000 ADU. Le rapport signal sur bruit croit alors d’un facteur 4, ce qui laisse espérer l’observation de quasar (ou de supernovae) jusqu’à la magnitude 14.5 avec un télescope de 200 mm. En utilisant un télescope de 400 mm, un réseau plus efficace et un temps de pose plus long, je pense qu’il est possible d’observer des redshifts jusqu’à la magnitude 16.5 environ. Cela donne accès à une très grande quantité de quasars et de galaxies de Seyfert. Pourquoi alors ne pas entreprendre par exemple une surveillance multispectrale des variations d’éclats d’objets encore si mystérieux ? Pour aller au devant, la figure 14 montre un spectre synthétique type de quasar.
On reconnait sur la figure 14 des raies qui sont désormais les
signatures familiaires des quasars : [OIII], Hb,
Hg. Bien sur, la raie Ha,
non représentée sur cette figure, reste un très bon
jalon pour mesurer des redshifts, mais dès que z dépasse
0,5 la raie se trouve au-dela de la longueur d'onde de 1 micron, et elle
devient indétectable avec les CCD. En revanche, une raie très
intense comme MgII, prend le relais car elle arrive dans le domaine visible.
Quant à la détection de la raie Lyman a,
son observation avec un télescope d'amateur est un superbe challenge,
le z devant atteindre 2.2 pour qu'elle devienne visible avec un
CCD (notamment en utilisant le nouveau CCD KAF-0401E Kodak, présentant
une sensibilisé accrue dans le bleu). Il y a quelques quasars entre
la magnitude 16 et 17 qui permettent une telle observation. Comme cela
arrive chez les professionnels qui tentent de détecter des objets
toujours plus lointain, le spectre visible peut se limiter à la
seule raie Lyman a, le continuum étant
trop faible. Mais quelle belle observation ! Pour vous y préparer
et vous aidez à identifier les raies de votre prochain quasar, le
tableau suivant liste les principales raies d'émission visibles
dans ces objets, ainsi que le flux relatif qui s'y trouve concentré.
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