LHIRES III
Utilisation avec un appareil photo Canon EOS


Préambule

Le spectrographe LHIRES III peut accepter plusieurs type de détecteurs :

- l'oeil (!), au travers d'un oculaire, pour visualiser au moins une fois dans sa vie le spectre de notre Soleil en haute résolution, mais aussi pour effectuer des réglages.
- une caméra CCD refroidie, comme Audine, SBIG, ... Indispensable pour observer des astres faibles.
- une caméra vidéo, pratique pour réaliser par exemple des spectrohéliogrammes de la surface solaire.
- un appareil photo numérique reflex, très utile lors de l'alignement initial de l'instrument, mais aussi d'usage spectaculaire car cette solution produit quasi instantanément des spectres en couleurs détaillés de nombreuses sources lumineuses.

C'est cette dernière possibilité qui est décrite dans cette page. Elle est justifiée par le fait que les appareils photographiques numériques ont fait bien des progrès ces dernières années et qu'ils se sont démocratisés grâce à la baisse des tarifs. Les reflex numériques sont de plus en plus employés pour l'observation astronomique, notamment dans le domaine de l'imagerie grand champ du ciel profond. Lhires III anticipe cette révolution de la photographie numérique en étant conçu dès le départ pour accepter un boîtiers reflex en tant que détecteur (l'interface est la classique bague T).

La sensibilité des reflex numériques demeure notoirement en retrait à celle des caméras CCD spécialisée en astronomie. On peut considérer que la détectabilité d'un reflex ne représente que 20% de celle d'une caméra refroidie. L'organisation des pixels du capteur du reflex en une structure type matrice de Bayer, permettant d'enregistrer en une pose des images couleurs, est la source principale de cet écart de détectivité (un pixel donné ne voit que des photons rouge ou vert ou bleu, mais jamais les trois en même temps). Il faut souligner aussi l'importance du bruit du détecteur, notamment en spectrographie. Les capteurs CCD optimisés pour l'astronomie sont refroidis et bénéficie de circuits de lecture particulièrement soignées pour limiter le bruit. Les derniers appareils reflex, notamment ceux de la gamme Canon EOS, ont cependant un bruit intrinsèque bas (une propriété assez remarquable compte tenu que le capteur n'est pas refroidi - voir des détails ici). Cela permet sérieusement d'envisager quelques applications en associant un tel boîtier à Lhires III.

Bien sur il ne sera pas question d'aller chercher les étoiles faibles accessibles à une caméra CCD spécialisée, il faut en être très conscient. Cependant, on montre dans cette page qu'il est possible de faire des observations tout de même intéressantes, y compris dans le domaine stellaire. Le coté pédagogique de l'opération est par ailleurs indéniable. L'intéractivité et la visualisation directe des spectres est bien sur extrêmement attractive. Montrer qu'avec l'appareil photo de "Monsieur tout le monde" il est possible de pratiquer la spectrographie stellaire haute résolution est un vecteur manifeste pour promouvoir la spectrographie. Cet aussi un bon moyen pour faire ces premiers pas à peu de frais, quitte bien sur à passer bien vite à une caméra optimisée pour des travaux plus avancés et précis.

L'appareil photo utilisé lors des tests est un Canon EOS 5D, qui a la particularité d'employer un capteur "plein format" au sens photographique du terme, c'est à dire qu'il dispose d'une surface sensible de 24 x 36 mm. Des appareils photographiques nettement moins coûteux peuvent être employés sans aucune perte de performance, tel le EOS 300D ou le EOS 350D. En effet, le facteur taille du capteur est peu critique puisque LHIRES III ne produit un spectre homogène en terme de résolution spectrale que sur une longueur de 10 mm environ en raison des aberrations optiques. Le potentiel du EOS 5D est donc sous utilisé. Pour une évaluation du Canon 5D en astronomie, cliquer ici.

Tous les spectres ont été acquis en mode RAW (indispensable !). Le dématriçage (i.e. restitution des couleurs) est réalisé avec le logiciel Iris. Aucune réduction de bruit à l'acquisition et lors du traitement est appliqué (indispensable !). L'appareil est réglé sur la sensibilité ISO 400 (relativement peu critique).

La région du spectre visée est centrée sur le double du sodium (5890,0 et 5895,9 A). La sensibilité du capteur CMOS du Canon 5D est correcte dans cette zone (et pour toute longueur plus courte jusqu'à 4300 A au moins). On évite la région de la raie Halpha, virtuellement inaccessible sur des objets faibles si le filtre anti-infrarouge qui équipe les appareils reflex n'est pas retiré (le boîtier utilisé pour ces tests n'est pas modifié, il est standard, tel qu'acheté). Le spectrographe Lhires III était équipé du réseau de 2400 traits/mm. Il est monté au foyer f/10 d'un Celestron 11 (diamètre de 0,28 m). Les observations ont été réalisé dans un environnement urbain sévèrement pollué par la lumière artificielle (ce qui n'est d'aucune gène ici !).


Spectre d'un lampadaire équipée d'un lampe sodium haute-pression (c'est l'éclairage jaune de nos villes). Le coeur de raie est absorption, mais il laisse voir une faible lumière dans laquelle on peut apercevoir le doublet du sodium. Pose de 5 secondes avec le Canon EOS 5D.


Spectre de la lumière du jour. C'est ici quasiment un spectre du Soleil que l'on observe ici. Le doublet du sodium est bien visible au centre.


La planète Venus sur la fente d'entrée du spectrographe Lhires III en décembre 2005. La fente est le trait noir horizontal. La caméra de guidage est une Watec 120N.

 


Spectre de la planète Vénus. En haut, la longueur totale du spectre acquis est montrée, avec une échelle réduite d'un facteur 0,3. En bas, une portion du spectre de Vénus (un quasi spectre solaire) à l'échelle originale. Les deux raies noires au centre sont les composantes du doublet du sodium.

 




Successivement, de haut en bas, le spectre de la lumière du jour, observé dans la région de la raie Halpha, dans la région du triplet du magnésium et dans la région de la raie Hbeta. Le télescope est simplement pointé vers le ciel bleu en pleine journée. Toute la hauteur de fente éclairée est montrée dans ces vues. La coupure nette en bas correspond à l'un des bords physiques de la fente. La limite plus progressive en haut correspond à la partie du faisceau vignetée (occultée) par le miroir de renvoi interne à 90° du spectrographe. La partie de la fente normalement utilisée pour les spectres stellaires se situe vers la centre. Ces spectres représentent ont une longueur linéaire de 24 mm suivant l'axe de la dispersion. La dispersion caractéristique est de 15 A/mm. La zone de netteté effective du spectre est de l'ordre de 10 mm. C'est ce que les études optiques du specrographe laissaient entendre. La distortion des raies est elle aussi conforme (ces distortions se corrigent très bien lors du prétraitement). La baisse de sensibilité dans le rouge, bien visible dans l'image Halpha, est due aux effets conjugués du filtre de rejection infrarouge qui équipe le boîtier reflex et à la baisse de rendement du réseau utilisé dans cette région du spectre (holographique de 2400 t/mm). Le retrait du filtre anti-IR apporterait un gain déterminant pour l'étude de cette partie du spectre avec un reflex numérique. La détectivité est en revanche correcte et relativement homogène entre 430 et 630 nm, ce qui laisse déjà un large domaine spectral d'étude pour un boîtier photo standard.

 


Spectre d'une lampe néon dans la région du doublet du sodium. Le gaz néon émet de nombreuses raies bien réparties, très utiles pour une calibration spectrale de précision. Cette image montre l'intégralité du acquis avec le Canon EOS 5D (longueur linéaire de 24 mm). La longueur d'onde centrale est 589 nm.


Profil spectral du spectre d'une lampe néon au voisinage des raies du sodium.


Observation de l'étoile Alpha Orion
(Betelgeuse)

SPECTRE CCD


Spectre 2D de Alpha Orion (somme de 6 poses de 60 secondes) acquis le 21,02 décembre 2005 avec une caméra CCD Audine (détecteur KAF-0402ME). Le doublet du sodium est bien visible au centre.


Spectre 1D de Alpha Orion (après binning vertical du spectre 2D) obtenu avec la caméra Audine. La dispersion moyenne est de 0,1329 A/pixel.

 SPECTRE REFLEX NUMERIQUE


Spectre 2D de Alpha Orion (somme de 2 poses de 300 secondes) acquis le 20,89 décembre 2005 avec un appareil photo numérique Canon EOS 5D (détecteur CMOS). La longueur linéaire est de 24 mm (le Canon EOS 5D a un capteur plein format 24x36 - l'axe de la dispersion spectrale est orienté suivant la petite dimension du détecteur). L'échelle est réduite d'un facteur 0,3 dans cette représentation (la longueur du spectre originel est de 2900 pixels). Le spectre est représenté approximativement dans les couleurs naturelles délivrées par l'appareil photographique (spectre en "vraies" couleurs). Le doublet du sodium est au centre, dans la partie jaune du spectre.


Détail de la partie centrale du spectre EOS 5D, à l'échelle originale.


Spectre 1D de Alpha Orion (après binning vertical du spectre 2D) obtenu avec l'appareil EOS 5D. Seule les couches rouge et verte sont utilisées pour construire le profil spectral (la couche bleu contient très peu d'information dans cette partie du spectre et l'employer n'ajouterait que du bruit). La dispersion moyenne est de 0,1215 A/pixel.

 COMPARAISON DU SPECTRE CCD ET DU SPECTRE REFLEX NUMERIQUE


Comparaison des spectres de Alpha Orion acquis avec la caméra Audine et avec le reflex numérique ESO 5D. Ce dernier spectre est décalé verticalement de 0,4 unité pour une raison de clarté. On rappelle que le spectre fait avec la caméra Audine (capteur KAF-0402ME) est posé 6 x 60 secondes et que le spectre fait avec le EOS 5D (capteur Canon CMOS propriétaire) est posé 3 x 300 secondes.

 


Superposition des spectres Audine et EOS de l'étoile Alpha Ori (Betelgeuse). La ressemblance est très bonne, aussi bien en terme de forme des raies (shape) qu'en terme d'intensité. Dans les deux cas, le continuum a été normalisé à l'unité sous VisualSpec.


Observation de l'étoile Beta Orion
(Rigel)

 SPECTRE REFLEX NUMERIQUE




En haut, le spectre en couleur de Beta Orion observé avec le Canon EOS 5D en 6 x 300 secondes, réduit d'un facteur 0,3. En bas, un détail à l'échelle d'origine (échantillonnage spectral de 0,121 A/pixel). Le doublet du sodium n'est que faiblement visible dans cette étoile. La raie large dominante, à gauche du centre, est produite par l'hélium.

 COMPARAISON DU SPECTRE CCD ET DU SPECTRE REFLEX NUMERIQUE


Comparaison des spectres de Beta Orion acquis avec la caméra Audine et avec le reflex numérique ESO 5D. Ce dernier spectre est décalé verticalement de 0,2 unité pour une raison de clarté. Le temps de pose est de 12 x 300 secondes pour le spectre Audine et de 6 x 300 secondes pour le spectre EOS 5D.

 


Superposition des spectres Audine et EOS de l'étoile Beta Orion (Rigel). De nombreuses raies de cette zone sont produites par la vapeur d'eau de notre atmosphère. Les petites variations dans la profondeur de ces raies peuvent s'expliquées par une teneur en vapeur d'eau variable et une différence de masse d'air lors des observations. La similitude du profil de la raie HeI à 5876 est excellente.


Observation de l'étoile Gamma Cassiopée

SPECTRE CCD


Spectre 2D de Gamma Cas (V=2,5) obtenu avec une caméra Audine comme détecteur, le 21.85 décembre 2005. Le capteur est un Kodak KAF-0402ME (pixels de 9 microns). Compositage de 6 clichés exposés 300 secondes chacun (temps de pose cumulé de 30 minutes). La dispersion moyenne est de 0,1329 A/pixel. Le doublet du sodium est visible au centre.


Le même spectre de Gamma Cassiopée, mais après binning vertical (outil
L_OPT de Iris). Les composantes du doublet sont nettement plus fines que dans le cas de Alpha Orion. Il s'agit s'en doute de raies produites dans le milieu interstellaire (gaz situé entre l'étoile et la Terre).

 SPECTRE REFLEX NUMERIQUE


Spectre 2D de Gamma Cas obtenu avec le Canon EOS 5D comme détecteur, le 21,79 décembre 2005. Le spectre est présenté dans l'intégralité de la longueur acquise et dans les couleurs naturelles délivrées par le boîtier reflex. Compositage de 6 clichés exposés 300 secondes chacun (temps de pose cumulé de 30 minutes). La dispersion moyenne est de 0,1215 A/pixel. Le doublet du sodium est visible au centre.


Détail à l'échelle de 100% du spectre EOS 5D.


Representation 1D du spectre EOS 5D. Les canaux rouge et vert sont additionnées pour générer le profil spectral lors du binning vertical (les pixels bleu ne produisent aucun signal significatif dans cette partie du spectre, le fait de les exclures permet d'optimiser le rapport signal sur bruit).

  COMPARAISON DU SPECTRE CCD ET DU SPECTRE REFLEX NUMERIQUE


Comparaison du spectre Audine (en bleu) et du spectre EOS 5D (en rouge) de l'étoile Be Gamma Cassiopée. On note une évolution représentative en à peine 24 heure au niveau de la raie de l'hélium ! Le changement de profondeur des raies du sodium est plus surprenante encore. Le phénomène ne semble pas d'origine instrumentale (voir la consistance des spectres précédents), mais des observations supplémentaires sont nécessaires pour l'affirmer de manière définitive et comprendre de quoi il en retourne.


Conclusion

On a démontré la possibilité d'obtenir des spectres stellaires avec un pouvoir de résolution de 17 000 en utilisant un appareil photographique numérique comme détecteur de Lhires III. Bien sur, seuls les astres brillants sont accessibles. La magnitude limite raisonnable pour un S/B de 50 en une heure de pose est estimée de 3 avec un télescope de 200 mm et de 3,5 avec un télescope de 280 mm. Des objets un peu plus faibles sont probablement observables avec quelque intérêt astrophysique si les raies sont en émission. La qualité spectrophotométrique des spectres acquis avec un reflex numérique est tout à fait équivalente à celle d'une caméra CCD. C'est s'en doute le résultat le plus important de cette étude. Sur l'un des objets observés, l'étoile Be Gamma Cassiopée, il a même été possible de détecter une évolution rapide du profil spectral, ce qui est de bonne augure et impressionne compte tenu du type de matériel employé. La mise en œuvre rapide et intuitive avérée des appareils reflex numériques au foyer du spectrographe Lhires constitue par ailleurs une excellente vitrine de la spectrographie et un superbe outil d'apprentissage des techniques de l'astrophysique.


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